dimanche 21 décembre 2008

Interview : Statue Park

Statue Park, c'est un homme : Toby Cayouette. Seul dans son studio, ou arpentant les rues armé de son appareil photo, le multi-instrumentaliste montréalais a construit au fil du temps et des compositions un univers intriguant et envoutant. Il entretient un rapport tout particulier à la musique, que ce soit à travers ses sources d'inspiration hors du commun ou par sa manière d'aborder la musique de façon très spitituelle et réfléchie, voir anticipée. Comme si cette chose que la musique peut nous donner ne se révélait que grâce à une formule spécifique élaborée avec soin. Ce qui est sur, c'est que Toby sait créer l'étincelle. Rencontre avec le cerveau de Statue Park, qui nous livre des propos précieux et intelligents, qui traitent de musique avec le recul nécessaire qui trop souvent nous fait défaut, en ouvrant de nouvelles perspectives, loin de contextes habituels ennuyeux. Et n'hésitez pas à aller voir ses photos, ca permet de mieux comprendre le discours... Merci Toby !

La musique à Montréal, une scène intéressante ? (de tête, les très gros The Stills, les moins connus The Lovely Feathers) C'est dur de s'y faire une place ? Ou au contraire il y a une émulation ? Des groupes, des amis, des projets que tu pourrais nous faire partager ?
À mon avis, depuis maintenant une dizaine d'années, le scène musicale indépendante montréalaise est en plein essor. Jamais il n'y a eu autant de bonne musique à Montréal. Les groupes d'ici font facilement compétition avec les plus grandes villes de musique au monde (New York, Chicago, Londres, etc.). Il y a une certaine fierté d'en faire partie, surtout en tournée. Les gens apprennent que nous provenons de Montréal et disent: "ah ouais, c'est cool Montréal." Ce n'était pas comme ça dans le passé. La communauté est énorme et les liens entres groupes sont faciles et se multiplient toujours. C'est vrai toutefois que ça devient de plus en plus difficile de jouer dans les gros festivals, parce qu'il y a trop de groupes et que l'ampleur des festivals comme Pop Montréal, par exemple, leur donne le budget de faire venir Beck et Franz Ferdinand, plutôt que de se concentrer sur les groupes émergents locaux. Enfin, étant donné l'intérêt qu'on porte à la musique à Montréal, il y a toujours un public qui vient assister aux spectacles par simple curiosité, même s'ils ne connaissent pas le groupe, et ça, dans mon expérience nord-américaine, c'est vraiment hors du commun!

Bon, pour nommer quelques favoris montréalais, il y a, bien sûr, Godspeed You! Black Emperor, avec qui tout à commencé, à mon avis. Ensuite, il y a Pawa Up First, Miracle Fortress, Patrick Watson, Plants and Animals, Montag, Hexes and Ohs, et j'en passe.

Sur ta page myspace, tu as rédigé un journal de bord de ta tournée de 2005. Qu'est ce que ca fait d'être Montréalais fauché en tournée aux Etats-Unis ?
En fait, ça dépend du taux de change. ;) Autrement, règle générale, les américains ont une curiosité pour la musique montréalaise (merci Arcade Fire et Wolf Parade), ce qui est un avantage. Aussi, il existe, aux États-Unis, tout un réseau pour les tournées indépendantes, des salles, des radios universitaires, des hebdomadaires indépendants, etc, qui nous facilitent la tâche. Il en reste que c'est tout de même un travail énorme que de faire le booking d'une telle tournée soi-même.

Avec la crise du disque, les concerts semblent être une échappatoire, notamment pour les petits groupes… c'est vrai ?
Pas plus qu'avant. Les gens n'achètent plus de disques, mais je ne suis pas convaincu que cette tendance ait causé un afflux d'assistance aux spectacles. Je crois aussi qu'au niveau des labels indépendants, il y a beaucoup moins de différence dans les ventes que chez les majeures... De plus, les fans de musique indépendante achètent sans doute plus de disques que les autres, puisqu'ils sont conscients des réalités du marché de la musique. Comme, par exemple, ils achètent Bio, même si c'est plus cher...

J'ai un jour entendu que tout artiste faisait de la musique pour impressionner les filles, et j'ai cru comprendre que ce thème revenait souvent dans ton journal…
Haha! C'est certainement le cas pour certains. Pas pour moi. Jamais je n'ai fait de la musique pour impressionner quiconque. C'est un outil de création qui, au fil des ans, est devenu un besoin. Je fabrique de la musique compulsivement. Et d'ailleurs, lors du travail de création, je n'ai d'autre public en tête que moi-même. Simultanément, j'ai un historique assez catastrophique avec les femmes, et c'est un thème qui revient fréquemment dans mes chansons en mêlant autobiographie avec des contextes hors du commun tel que l'architecture et l'urbanisme.

Plus sérieusement, faire de la musique... dans quel but pour toi ? quelles sont tes motivations ?
Ouais bon, j'ai déjà un peu répondu à cette question mais pour donner un compte-rendu plus concis, je fais de la musique parce que j'ai besoin de créer une musique très précise que j'ai envie d'écouter et d'entendre, parce que je ne crois pas qu'elle existe ailleurs. Tout le reste est secondaire.

« Flashes of dissonance ». Ça à l'air passionnant. Pourquoi faire de la musique parfois dissonante?
Parce je veux que la musique soit un miroir de la vie. Une chanson, c'est un peu un récit, une trajectoire, avec un fil narratif. Et dans tout récit, il y a conflit. C'est la même chose pour la musique : il faut qu'il y ait des moments tendus et des moments paisibles. Il faut des contrastes. Il faut du mauvais temps pour apprécier le beau temps. De plus, les constructions harmoniques plus complexes sont celles qu'on finit par vraiment aimer, à force d'écouter. Bref, ça fait partie de l'univers sonore que je souhaite utiliser...

Pourquoi tu as choisi d'utiliser des beats électroniques ?
Parfois, c'est une question de nécessité, j'écris pas mal toute la musique de Statue Park seul dans mon studio, et j'arrive aux résultats voulus plus rapidement comme ça, mais c'est aussi une préférence esthétique - il y a toute une gamme de couleurs et de textures qui sont impossible à faire avec une vraie batterie. Toutefois, ma préférence est pour un savant mélange des deux. Et lorsque viendra le temps de ré-enregistrer ces chansons-là pour l'album (enregistrement prévu janvier/février 2009), ce sera un son plus organique qui sera tenté.

Le processus de création, c'est quelque chose d'assez particulier et de très intime… tu as des méthodes ? Comment t'inspires tu ?
Oui, alors c'est vrai qu'il y a plusieurs constantes dans mon processus de création. D'abord, j'écris les musiques et les textes indépendamment les uns des autres. Pour les textes, j'ai toujours un carnet avec moi et je note des idées, des passages, en m'inspirant à la fois de ma vie et de bouquins théoriques sur des sujets divers. En parallèle, je crée des morceaux, en partant de beats, de sons bizarres, des samples, des boucles, bref tout sauf la guitare. Depuis longtemps je me force d'écrire sur tout autre instrument que la guitare, pour éviter de tomber dans la répétition. Puisque la guitare est l'instrument que je maîtrise le plus, il est facile pour moi de rester pris dans des formules et des façons de faire qui deviennent des habitudes, et je veux éviter ça. Il y a mille chemins pour arriver à faire une chanson, et ce serait dommage et banal de toujours prendre le même.

Qui est Irene (.....) ?
Irène Jacob. Non, en fait elle n'existe pas Irene, je l'ai inventée de toute pièce. Pour moi elle représente un type, une catégorie de femmes : celles qu'on aime à distance, qu'on idéalise (les actrices, les mannequins, la grande brune qui travaille au café, etc) mais qu'on sait très bien qu'il faut éviter de connaître, afin d'éviter de rompre le mystère, parce que 99% du temps on sera déçu et notre amour disparaîtra. Peut-être vaut-il mieux continuer de les aimer à distance - de près, elles nous ennuieraient. Bon, je ne sais pas si je crois vraiment tout ça, mais c'est une belle histoire.


Toby Cayouette

De façon très surprenante, tu donnes comme influences l'architecture et le paysage urbain en général. Tu peux nous éclairer ? comment cela entre en interaction avec la musique ?
Le paysage urbain me fascine et me préoccupe. Cette préoccupation apparait de façon contextuelle dans les textes, et de façon analogique, elle crée un espace dans lequel la musique de Statue Park peut exister. C'est une influence indirecte bien sûr, mais elle a une influence certaine sur la musique, tout comme une pochette d'album peut avoir une influence sur notre perception et surtout sur notre expérience de la musique qui s'y retrouve. J'avoue que c'est un peu conceptuel tout ça, mais pour moi c'est devenu indissociable de Statue Park.

Parlons de toi maintenant. Tu as d'autres projets ? Quelle est ta chanson favorite de Statue Park ?
À l'heure actuelle, je suis à New York pour enregistrer un album avec un autre groupe, Chinatown (www.chinatownmusique.com), qui va lancer son premier album en Avril. Une sortie en France est souhaitée pour l'automne 2009. Dans Chinatown, un groupe rock francophone, je suis bassiste; je participe aux arrangements, mais pas au songwriting - je ne veux pas trop mélanger les plats. Autrement, je ne rate aucune occasion pour perfectionner mes talents de photographe (flickr.com/statuepark), et les occasions à New York sont nombreuses!

Le site officiel de Statue Park.
Ecoutez quelques chansons ici, ou sur la page Myspace.

Aucun commentaire: